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Vénus et son passage aujourd'hui!
Jean Pierre Luminet, le 01/03/04

5°) L’événement du 8 juin 2004

A l’occasion du prochain transit de Vénus, l’Observatoire Européen Austral ESO ( European Southern Observatory), en partenariat avec l’Association Européenne pour l’Education en Astronomie EAAE (European Association for Astronomy Education), lance un vaste programme éducatif public qui permettra à toutes les personnes intéressées de participer activement à l’événement astronomique. En effectuant une observation relativement simple, toute personne suivant à la lettre les instructions données sur le site web de l’ESO pourra contribuer à la mesure de l’une des distances astronomiques les plus fondamentales, c’est-à-dire la distance moyenne Terre - Soleil.

En effet, l’échelle entière des distances cosmiques, depuis notre voisinage du système solaire jusqu’aux galaxies les plus lointaines de l’univers, repose sur cet étalon fondamental, appelé unité astronomique (UA).

Le transit du 8 juin 2004 est donc une occasion unique de participer à une expérience scientifique d’intérêt historique. Bien entendu, la réponse correcte est déjà connue : depuis 1960, les mesures de distance effectuées par radar, ainsi que l'envoi de sondes spatiales, ont permis de connaître les distances dans notre système solaire avec une grande précision. En 1976, l'Union Astronomique Internationale a défini l'unité astronomique comme valant 149 597 870 km.

Pour les observations de juin 2004, la question intéressante sera de savoir quel degré de précision pourra être obtenu avec la méthode purement géométrique, celle qui a historiquement permis d’établir pour la première fois la distance Terre - Soleil lors des transits de 1761 et 1769.

Notons qu’avec un diamètre apparent de 57,8", Vénus pourra aussi être vue à l'œil nu, à condition de se protéger les yeux avec des " lunettes Eclipses ".


Transit du 8 Juin 2004 - © Dessin J.P. Luminet


  • La goutte noire


  • Au télescope, un intéressant phénomène pourra également être étudié : celui de la " goutte noire ". Ce phénomène est observable lors de la phase initiale ou terminale d'un passage de Mercure ou de Vénus devant le Soleil, c’est-à-dire lors des contacts : le petit disque sombre de la planète, déjà entièrement visible sur le disque solaire, prend la forme d'une goutte de liquide, de sorte que la planète semble se détacher du bord du Soleil avec un léger retard. Beaucoup d’astronomes ont cru que le phénomène était produit par la réfraction de la lumière solaire dans l'atmosphère de la planète. Or, Mercure n’a pas d’atmosphère. C’est Jérôme Lefrançois de Lalande qui en donna l’explication correcte en 1770, en termes de ce qu’il a appelé " l’irradiation " : l’atmosphère terrestre et la diffraction dans le télescope lui-même sont responsables de l’étalement de l’image en forme de goutte.


    Phénomène de la goutte noire
    L’image apparente de Vénus est légèrement déformée juste aux moments où celle-ci est en contact avec le bord du disque solaire. L’astronome anglais John Bevis en fit les premiers dessins précis en 1769.- © Dessin J.P. Luminet


    Lors des observations historiques de 1761 et 1769, le phénomène a occasionné des difficultés imprévues dans la détermination exacte des instants d’entrée et de sortie de la planète devant le disque du Soleil, comme le rapporte notamment Chappe d’Auteroche lors de son expédition en Russie de 1761. Le phénomène peut être décrit de la façon suivante :

    " Chappe revint sans perdre de temps à sa propre observation. Les conditions étaient parfaites : pas le moindre brouillard, le Soleil s’était levé sur un horizon net. La lunette de Chappe, qu'il avait tant dorlotée durant les six mois précédant le transit, était la meilleure qui pût se trouver. Pour avoir un enregistrement plus sûr, il avait décidé d’utiliser la technique de la projection, plutôt que l’observation directe à travers un filtre protecteur. Il fixa à l’arrière de l’oculaire une feuille de papier graduée qu’il avait soigneusement préparée, de telle façon que l’image du Soleil emplissait un cercle de 6 pouces. Il avait divisé le diamètre horizontal du cercle en 30 parties égales, et c’est en suivant ce quadrillage qu’il pourrait enregistrer ses données avec la plus grande précision. Un fil à plomb était suspendu de façon à ce qu’il jette une ombre verticale sur le centre de l’image de Soleil, afin d'aider à la mesure. Le point-clé de l’observation était le chronométrage des instants de contacts : le moment où Vénus mordrait pour la première fois le disque du Soleil, puis, cinq ou six heures plus tard, celui où elle le quitterait. Soudain, la tache de Vénus parut. Chappe vit distinctement comme une atmosphère ou une ombre obscure autour du corps de la planète, qui perturba l’appréciation exacte du premier contact. À cet instant précis, la tache noire de la planète sembla rester connectée comme une gouttelette à la frontière du limbe solaire, jusqu’à ce que soudain la connexion fût cassée et que la planète fût vue bien après la bordure. L’astronome jura intérieurement. Ils n’avaient pas prévu cet effet, et il faudrait plus tard faire des corrections, en tenant compte de l’écart moyen mesuré par divers observateurs. Chappe fut ensuite étonné de voir combien la tache enfin nette de Vénus était petite : un minuscule cercle noir maculait la face radieuse du Soleil, et le traversait majestueusement, sans se presser. La caresse dura cinq heures trente-sept minutes. Le dernier contact de Vénus avec le bord du Soleil fut aussi difficile à mesurer que le premier. Plus de dix secondes avant, la tache redevint gouttelette, irrésistiblement allongée en direction du bord solaire. Plus elle disparut brusquement. "


    Les projets d’observations du prochain transit de Vénus s’adressent particulièrement aux enseignants et aux scolaires, et sont donc d’un immense intérêt pédagogique. La meilleure conclusion vient de la plume de Jérôme Lalande , l’un des principaux protagonistes des observations du transit de Vénus en 1769 :

    C’est en 1772 que je publiai mon fameux Mémoire sur le passage de Vénus, rapportant les diverses observations effectuées lors du transit du 3 juin 1769. Je le conclus par le résultat tant attendu : la valeur de la parallaxe solaire. Nous avions quelque peu peiné pour réduire les données disparates qui nous étaient parvenues du monde entier. Les observations avaient été rendues incertaines par l’agitation des images et par les fausses apparences dues à la diffraction de la lumière par les instruments. Nous nous étions néanmoins attachés à calculer une juste moyenne, et nous pûmes annoncer avec assurance que trente-sept millions de lieues nous séparaient de Phébus, à un million de lieues près.

    Certains de mes adversaires firent valoir que la précision du résultat ne justifiait pas tous les espoirs que l’on avait jadis placés dans le rendez-vous de Vénus. Ils n’avaient pas tout à fait tort, sur le plan de la pure science : je ne doute point que les astronomes des temps futurs affineront nos méthodes, ou même trouveront des moyens plus ingénieux pour mesurer l’univers avec la plus parfaite précision. Mais quoi, ces froids contradicteurs oublièrent-ils qu’au-delà même du calcul de la parallaxe du soleil et des planètes, le rendez-vous de Vénus avait été un sommet dans l'histoire de la science ? Pour la première fois, depuis les débuts de l'humanité, au même instant, disséminés partout dans le monde, des savants de toutes nations avaient observé de concert le même phénomène céleste et s’étaient communiqués les résultats de leur travail. Quelle leçon de paix et de concorde nous avions donnée aux Grands de la Terre ! Le génie, par ses bienfaits, est cosmopolite. Ses découvertes sont l'héritage du genre humain, et les travaux des hommes occupés à défricher les routes de la science, à prendre la nature sur le fait, préparent en silence le destin des nations.
    J'ai calculé que Vénus recroiserait le Soleil le 8 décembre 1874 et le 6 décembre 1882. Et à nouveau le 8 juin 2004, puis le 6 juin 2012. Ces temps paraissent lointains. Mais que sont-ils au regard du chaos des âges que seule l'Astronomie a su débrouiller ? "


    Extrait de Jean-Pierre Luminet , Le Rendez-vous de Vénus, JC Lattès, 1999 ; Livre de Poche, 2001.

    Adapté par J.P. Luminet dans le roman déjà cité





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